L’habilleur au théâtre Rive Gauche est un spectacle honnête qui vaut surtout pour le charisme exceptionnel de Laurent Terzieff.
Quand le comédien entre en scène, qu’il gravit le petit escalier côté jardin pour finir par s’effondrer sur le sofa trônant au milieu du décor, le spectateur retient son souffle, fasciné par cette longue silhouette de cadavre où des yeux fiévreux percent deux trous de lumière. Son visage à l’émaciation morbide se tourne vers la salle, sous la peau parcheminée saillent les pommettes, la mâchoire s’avance pour mordre et il prononce des paroles, même anodines elles résonnent dans l’air comme des sentences définitives.
Cette présence intimide d’abord, Laurent Terzieff est un monstre et son apparence de grand spectre dégingandé impressionne. Pourtant au bout de quelques répliques, on ne s’imagine plus autrement ce comédien shakespearien qui se fait appeler maître et dont la vanité n’est que l’étendard du génie, c’est un passeur de l’éternel, un prêtre mesquin peut être, égocentrique sûrement, mais entièrement dévoué à sa tâche qui est de lutter contre la barbarie avec les mots de l’art. Combat ridicule d’un Narcisse débile contre les nazis, c’est tout le talent de Laurent Terzieff de nous inspirer à la fois du respect et de la pitié pour ce personnage de théâtre. Petit homme qui justifie une fausse gloire en invoquant Shakespeare.
Le texte a été écrit par Ronald Harwood, auteur sud-africain qui commença sa carrière comme habilleur dans une troupe de théâtre, il était tout préparé à écrire cette œuvre qui retrace la vie d’une troupe shakespearienne pendant le blitz à Londres. Tous les soirs la troupe interprète une pièce différente, ce soir c’est Le Roi Lear mais le maître n’est pas là, il a eu une crise d’angoisse la nuit précédente et on craint pour sa santé mentale. Quand enfin, il débarque au théâtre, accueilli par son zélé habilleur, il est hâve et défait. Il ne se souvient plus du début de la pièce. Quelques minutes et il reprend ses esprits, le drame peut commencer. Nous assistons alors à cette soirée mémorable, curieuse mise en abyme où sur le plateau se dresse un décor de coulisse, quand le rideau tombe, il tombe au fond de la scène.
La pièce est longue, un peu trop. Près de 2h45, elle est drôle par moment, émouvante souvent, intéressante sans aucun doute, d’une qualité bien supérieure aux productions habituelles du théâtre Rive Gauche mais elle n’est pas à la hauteur de l’immense Laurent Terzieff. On imagine avec un peu de regret ce qu’il aurait fait d’un texte sublime, chaque mot qu’il prononce nous bouleverse. Le spectateur se lasse des émotions puissantes, trop d’intensité peut finir par ennuyer, pas avec Laurent Terzieff qui donne à l’expression des sentiments des nuances infinis et une profondeur qu’ils n’ont peut être pas.
La pièce de Ronald Harwood bascule sans arrêt du drame à la comédie, de la tragédie au burlesque tout en restant dans une entre deux difficile, Tchekhov a une petite musique et ses pièces n’ont pas de genre mais Hardwood n’est pas Tchekhov et sa petite musique si elle a des accents déchirants par moment n’est bien souvent qu’une chanson amère qui s’étire sans but et finit par endormir. D’autant que les instants de légèreté sonnent faux, les comédiens ont des emplois, Laurent Terzieff fait difficilement rire. Son compère Claude Aufaure, qui joue l’habilleur a au contraire le physique gourmand du personnage de comédie. Son visage facétieux offre un contrepoint saisissant. Il est excellent lui aussi.
La mise en scène est irréprochable, le décor astucieux. Un spectacle de grande qualité, une interprétation plus que parfaite, des moments de grandes émotions mais l’attention s’étiole au bon de 2h, dommage. EE.
Edouard.