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10 lectures estivales

Feu-et-flammes

Feu-et-flammesL’été s’achève dans le travail, c’est affreux et habituel, la rentrée des classes entraîne les parents dans un siphon d’activités peu gratifiantes où la métaphysique tient moins de place qu’une trottinette reine des neiges ou un doudou plein de fanges, ils achèvent leur journée au fond du trou et doivent creuser encore pour coucher le dernier. C’est la vie ma pauvre Lucette. Restent l’amour, BFMTV et la littérature.

La rentrée littéraire anime les services marketing de Flammarion et Gallimard, boîtes à lettres où le commerce des chiffres fait davantage recette que l’échange des idées, la courbe des ventes remplace la reproduction du retable d’Issenheim, quand elle descend sous la ligne jaune, c’en est fait d’Amélie Nothomb et de la couverture de Livres Hebdos, demeure au fond de la conscience l’infime espoir d’avoir contribué à l’édification culturelle de notre civilisation. Les chefs de marché, dilections d’experts en camembert, dessinent de fabuleux tableaux à destination des hauteurs. Sur le perchoir, Antoine Gallimard songe avec mélancolie à sa jeunesse enfuie, descentes à ski et jolies voitures, écrivains phares ou éteignoirs, il faudra bien passer la main. Vénus et Artémis, les filles préférées, se préparent à un destin.

Chez Flammarion, la rentrée est étique, tout est nul et déjà lu, encore une petite bêcheuse ordurière, un Olivier Adam à mèche et un premier roman sans substance, du remugle de magazine sans avenir. La littérature se vend mal, elle exige trop d’effort et un goût frotté aux patines anciennes, la reconnaissance du génie exige de s’être déjà coltiné avec lui, comment estimer sans comparer ? Grave question d’ordre spéculatif dont les implications morales sont si terrifiantes que je préfère passer à la ligne.

L’été s’achève et le parisien rentre au bercail, son cuir est fatigué, le cheveu long, son esprit fourbu, le premier métro est un Golgotha, avoir goûté aux horizons mirifiques et se retrouver dans une boîte, le choc est brutal, il donne aux imaginatifs des angoisses stupides : trier ses déchets, voter Yannick Jadot, relire Paul Gadenne. Dans une boîte, avec d’autres maquereaux. La mer est petite pour des sardines aussi nombreuses. Il se console dans la résignation, vertu anachronique. Et dans la littérature, itou. Qu’est-ce que lire des romans sinon se résigner au réel? On ne lit pas pour oublier, on lit pour voir ce que l’on voit, mots de Charles Péguy qui ramène les autrices et cacographes de notre temps à leur juste mesure picrocholine.  Les rentrées littéraires étalent les mêmes lorgnettes déformantes, elles renvoient l’image d’un homme peu général, confit dans la dévotion d’un monde moderne aussi tangible qu’un pet de nonne. Les vrais romans contiennent le cosmos, le big bang et l’Apocalypse.  Allégation péremptoire que l’on doit à mon esprit chagrin, lessivé par la lecture répétée des mêmes sentences circonstancielles et misérables, la prévarication des intelligences par l’esprit du temps est l’issue fatale du drame médiatique, il n’est pas de succès qui ne porte en lui les germes de sa subversion, trop d’informations annule l’information, trop de science corrompt le raisonnement scientifique, trop de morale mène à la confusion des ordres, trop d’idées conduit à cet article de blog. Trop de livres effacent la littérature.

Qu’ai-je lu cet été ? Du bon, du moins bon, et pas de chef d’œuvre :

Le Bikini de Caroline – Kirsty Gunn – Ee

Un trader tombe amoureux de sa belle logeuse, il se confie à sa meilleure amie autrice(1), elle en conçoit de la jalousie et une théorie littéraire plutôt barbante. L’amour courtois du banquier horripile, sa longueur, sa langueur, et pas d’action. Kirsty Gunn n’est pas Dante Alighieri, encore moins Henry James.

Rosewater – Tade Thompson – EE

Exotique. Premier tome d’une trilogie où la science-fiction infuse en pays africains, terreau inhabituel pour un genre qu’on croyait réservé aux habitants de latitudes moins sauvages. Un biodôme surgit dans la savane, comprendre un gros champignon, il s’en échappe des spores guérisseurs et un panthéisme bien dans l’air du temps.

La plage de Scheveningen – Paul Gadenne – EEE

Préférez Les hauts-quartiers du même auteur, chef d’œuvre. La plage de Scheveningen voit un couple se reformer à l’issue de la guerre, le temps d’un weekend, le temps d’un impossible dialogue où l’homme se confie tandis que la femme se cache, amour qui n’est plus l’amour et que l’absence d’un troisième larron complique de considérations philosophiques. Intéressant pour le troisième larron, évocation à peine voilée de Robert Brasillach. Touffu.

Feu et flammes – Maurice Raphaël – EEE

Très bonne surprise, un couple fuit l’incendie qu’il a allumé par mégarde. La course folle dans les aiguilles, la nuit qui tombe et l’incandescence : l’atmosphère est propice aux débats conjugaux. Tragédie de petites gens que l’angoisse met aux prises des grandes questions, pas de lyrisme toc, un style sobre qui va à l’essentiel.

Le grand Cœur – Jean-Christophe Rufin – EE

Biographie romancée de Jacques Cœur, grand argentier du roi de Jeanne d’Arc. Dans un style relâché. Plaisant, mais on ne croit pas à la romance entre Jacques Cœur et Agnès Sorel. Une invention moderniste.

Partis pris – Marc Fumaroli – EEE

A picorer sans modération. Toujours intelligent, toujours bien écrit, manque l’humour.

L’aube des idoles – Pierre Bentata – Ee

Une thèse convaincante mais pas inédite, la fin des religions de la transcendance laisse la place aux religions séculières : l’écologie, les droits de l’homme, la science, le genre, autant de nouvelles idoles que la raison est impuissante à combattre. Angoissant.

La chaleur – Victor Jestin – EE

Le premier roman sans substance en question. Un adolescent bizarre, est-ce vraiment bizarre ? C’est court, bon point.

Carpe Jugulum (Les Annales du Disque-Monde, T23)  – Terry Pratchett – Eee

Des sorcières sympathiques luttent contre une famille de vampires envahissante. C’est drôle, régressif et traduit à la Nespresso. Pour les amateurs du genre.

Platon – Bernard Fauconnier – EE

Efficace pour le vulgaire. J’en fais partie.

Edouard.

(1) ironie mordante

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