Terre-neuve n’est pas seulement une race de chien, c’est aussi une île, et une grande. Une île du genre nordique où le froid pèle et la pluie mouille. On la trouve au nord du septentrion, c’est dire son éloignement des tiédeurs démocratiques. De redoutables figures l’habitent, elles ont la trogne endurcie, le tarin érysipélateux et la lippe bleue, Picasso dernière période. Les rigueurs du climat ne facilitent pas les relations humaines, elles sont aussi torves que les visages. Ne parlons pas de la famille. Juste deux mots, la famille est un cloaque où clabaudent les frères et les sœurs. Ce n’est pas le bonheur, c’est pire, un remugle de vieilles âmes, le confit d’histoires anciennes et psychanalytiques, une suée généalogique sans trop de gènes, une monarchie espagnole sans soleil. Le frère et la sœur des Adversaires de Michael Crummey sont de Terre-Neuve : durs aux sentiments, brutaux dans les affaires. Le frère s’appelle Abe Strapp, la sœur est veuve et porte le nom de son mari, ils se disputent le marché de la morue à Mockbeggar. Abe est une ordure, bête et vicieuse. La sœur est impénétrable. La confrontation des deux ne fait pas dans la dentelle, les raffinements de la civilisation n’atteignent la rive boréale qu’après le pasteur et le goût du lucre. L’argent est la marque du salut, sauvons notre âme avant de dire bonjour et merci.
L’histoire se déroule en un temps reculé, le temps de la flibuste et des conquérants, la mort y est une issue courante et avisée. L’auteur s’emploie à nous faire vivre les affres d’une existence oblitérée par la météo, l’âme s’épuise quand le corps lutte, l’humanisme est par là une pensée des zones tempérées, le froid, la pluie, le vent ne profitent pas aux intelligences abstraites, ne subsistent dans ces contrées balayées de tempêtes que des hommes pratiques ou inébranlables, des brutes et des quakers. Abe Strapp tue, viole et chasse, sa sœur complote en silence, elle eut fait un héritier plus sûr mais le sexe ne pardonne pas, elle ne doit sa fortune qu’à son veuvage, pour une femme de ce temps le plein orbe de son être s’obtient par soustraction d’une moitié, le complet est la demie, ce n’est pas le moindre des paradoxes. Si la sœur est de figure plus placide, elle n’en mène pas moins de ténébreux desseins et n’hésite pas à utiliser les femmes et les hommes de sa maison comme des pions, sa bestialité ressort davantage de l’esprit d’un calcul qui s’affranchit de l’argument humain que de la violence physique, elle est bête par défaut de compassion quand son frère l’est par instinct. Jusqu’à la lutte finale, précipité freudien où les rancœurs explosent. Flash. L’image est saisissante et attendue, cliché.
Michael Crummey a du talent, son roman dépayse, exotisme du temps, de l’espace et de l’âme, le tout grisâtre comme la psyché. A découvrir. EEE.
Edouard.
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